Les mots qui font mal !

« Violences psychologiques... des atteintes invisibles » - Colloque 2013

Propos humiliants, blessants, dénigrants. Hésitations, banalisation, destruction, liens toxiques, contamination familiale, aliénation parentale… Une violence sournoise, invisible qui délite l’émotion, oblitère l’énergie, castre la vitalité, suspend la parole, obscurcit le jugement.

Toutes les victimes disent, lorsqu’elles en parlent, leur honte d’être méprisées et humiliées par un partenaire auquel elles sont affectivement liées. Des violences « ordinaires », depuis peu délictueuses, mais... comment s’y prendre pour comprendre et adapter l’intervention en conséquence ?

 

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Autour de la Violence Conjugale

Article écrit par Anne Bonnaudet, Psychologue à Solidarité Femmes Belfort

Paru dans Non-Violence Actualité, mai 2009


C’est un processus relationnel privé ou privilégié, au cours duquel un partenaire masculin (sur 10 victimes, 9 sont des femmes) va développer des comportements de plus en plus violents et multiplier les rapports de force et les abus de pouvoir à l’encontre de sa compagne dans le but de la contrôler et la dominer.

C’est une infraction signifiée, sanctionnée dans et par le code pénal. Elle s’exerce sous différentes formes : verbales, psychologiques, économiques, physiques et sexuelles.

Elle surgit lors de conflits conjugaux répétés de plus en plus sévères, instaure un fonctionnement familial reposant sur la peur, le contrôle, l’emprise. Elle s’organise dans une sorte de spirale dont l’intensité et la fréquence augmentent avec le temps.

Elle détruit la communication, épuise les ressources personnelles et collectives de tous les membres de la famille qui sont menacés dans leur propre développement physique, émotionnel et social.

Le risque est, qu’à long terme, en plus des dégâts vécus par le couple, les enfants aient un haut degré de tolérance à la violence et normalisent ce modèle de communication violent en terme de comportements adéquats à la résolution des conflits. D’autres intériorisent cette « bombe à retardement », se replient sur leur sentiment de désespoir, de honte, de culpabilité, de terreur ou d’impuissance.

ET LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES ?

Tout est flou, on voit noir, on ne croit plus en rien, plus ne soi, on se sent moins que rien et la seule chose qui pourrait stopper cette souffrance , c’est qu’on la voie et qu’on comprenne l’effet ravageur et dévastateur qu’elle peut avoir sur nous, mais l’incompréhension règne toujours, on ne croit pas en nous…la crise passée, on se raisonne, on prend sur soi et on y croit un jour, deux jours, trois jours et on replonge, prise au piège dans cette spirale infernale qui guide nos pensées au suicide, car on reste persuadée que la pression va gagner… NATHALIE (25 ans hébergée depuis 1 an)

Vivre dans un climat de violences conjugales demande une énergie incroyable ; supporter les humiliations, les insultes, les remarques dévalorisantes, les atteintes physiques ou sexuelles, entraîne une tension psychique permanente.

Ainsi, pour limiter la fréquence des crises, les victimes sont toujours en alerte et vont développer des stratégies pour éviter de déplaire ou de provoquer la colère de leur conjoint (ne pas le contrarier, veiller à ce que tout soit prêt, et…).

Malgré tout, une nouvelle crise éclate. Elles se sentent alors coupable de l’avoir provoquée, de ne pas l’avoir vue venir, d’accepter la situation.

Peu à peu, elles perdent toute estime d’elle-même et se perçoivent comme « incapables » en tant que femme, épouse ou mère.

Ce sentiment confusionnel va progressivement les contaminer dans tous les domaines de leur vie : sorte de sidération psychique, d’anesthésie émotionnelle, de paralysie déroutante de leur « appareil à penser » à la manière des victimes d’otage ou de tortures, à la différence qu’elles connaissent leur agresseur auquel elles sont affectivement liées.

D’où l’obligatoire nécessité, pour les intervenantes, d’ abandonner les « y’a qu’à… faut qu’ont… » pour s’accorder, dans un rythme et tempo supportables pour elles.

LE TEMPS

Les participant(e)s aux formations que nous proposons sont toujours très étonné(e)s lorsque nous insistons sur l’importance du temps nécessaire pour qu’une femme victime de violence conjugale reprenne pied dans sa vie.

Prendre son temps pour la victime comme pour l’accueillante, qui à Solidarité Femmes est toujours une professionnelle femme (Assistante sociale ou Educatrice spécialisée) pour :

- Faire face aux traumatismes de la violence conjugale, au contexte émotionnel et affectif

- Prendre de la distance, se recentrer sur ses propres besoins

- Intellectualiser et tenter de transformer ses modes de relation, de communication et de régulation des conflits

- Se donner les moyens matériels affectifs et sociaux de reprendre le cours de sa vie

6 mois, 1 an, 2 ans ou peut-être toute la vie pour « s’extirper» du processus des violences, le décortiquer et le dépasser.

LA LIBRE ADHESION

Une amie, une émission à la télévision, une peur plus grande, un appel au numéro vert (3919) peut conduire une victime à franchir la porte de Solidarité Femmes. Elle y vient volontairement ; c’est tellement difficile de quitter un conjoint violent qu’il est essentiel qu’elle fasse l’expérience « d’exporter » elle-même son problème hors des frontières familiales. A nous ensuite de lui donner l’envie de revenir.

LA MESURE D’ACCOMPAGNEMENT PSYCHO- SOCIAL

C’est un filet d’assurance, tel un protocole activé entre l’accueillante et l’accueillie dans l’idée de l’accompagner à glisser d’une posture d’objet violenté et souffrant à celle de sujet apaisé et pensant, autrement dit la stimuler à reprendre le contrôle et la maîtrise de sa vie.

Notre accompagnement se réfère aux différentes étapes préconisées par la Pyramide de Maslow.

Nous avons toujours en tête un double mouvement : satisfaction des besoins matériels élémentaires et stimulation des ressources psychiques et cognitives.

Le défi est ambitieux, car, dans le fond, il s’agit qu’elle déterre ou qu’elle invente des compétences laminées par des années de relations agressives et violentes vécues, dans un climat émotionnel paradoxal et épuisant.

TOUT D’ABORD...

Plainte ou revendication, colère ou résignation, mutisme ou hémorragie verbale, caractérisent l’état de départ d’une victime.

Les premiers entretiens sont fondamentaux car la rencontre avec une professionnelle empathique et bienveillante est souvent une expérience très positive vécue par elle.

Il est possible qu’elle vienne simplement voir pour prendre la température. Quelle décision va-t-elle envisager ? Ira-t-elle dans le sens d’une rupture ou d’un retour ? Peu importe ! L’essentiel est qu’elle prenne la dimension de ce qui possible… Si sa décision va dans le sens d’un retour auprès de son conjoint violent, elle repartira avec une petite notice de gestes d’urgence et de protection pour elle et ses enfants au cas où…

En revanche, si elle maintient sa décision de départ, en fonction de ses ressources et des nôtres, des propositions sont faites pour répondre à l’exigence des besoins fondamentaux et de protection (mise en sécurité en centre d’hébergement, argent pour dépenses vitales,entretiens réguliers…).

Nous recherchons toujours l’adéquation entre « la demande et l’offre », extrêmement vigilante à ne pas en rajouter, ne pas compliquer, mais plutôt alléger et adoucir.

Ne jamais oublier que dans un contexte de violences intra-familiales, une séparation, peu importe sa configuration, est intrinsèquement agressive voir violente pour tout le monde .

La théorie systémique, modèle de références de solidarité femmes, nous guide, à prendre en compte l’ensemble de la famille.

Au moment de la rupture, l’auteur de violences fait également parti de nos préoccupations. Les chercheurs québécois ont montré des risques de suicide importants liés à un effondrement narcissique massif.

Aussi lui est offert une éventuelle orientation vers Parenthèses à la violence, association belfortaine spécialisée dans l’accueil des auteurs de violences conjugales.

ET ENSUITE…

La culpabilité de la rupture, les enfants aux comportements perturbés, des conditions matérielles insuffisantes, des droits de visites utilisés par le père pour continuer à garder le contrôle sur la relation conjugale sont des facteurs stressants pour la victime.

Ils la placent dans une oscillation contradictoire qui peut la conduire à abandonner et reprendre la vie commune.

Plusieurs mois sont nécessaires pour qu’elle se mette à distance du traumatisme vécu et récupère des compétences personnelles et des habilités sociales, prometteuses de reprise de contrôle.

Progressivement, lorsque les procédures d’accès aux droits sont mises en route (administratifs, judiciaires, financiers, santé) et les besoins vitaux satisfaits, le désir de projets et d’anticipation prend sens, surtout si elle accepte de travailler la dimension psychosociale de la violence relationnelle antérieure.

Certaines vont s’investir, avec gourmandise dans des formations professionnelles, être très actives dans une recherche d’emploi ; d’autres vont renforcer la fonction maternelle et éducative, avec soin.

JE ME RECONSTRUIS...

L’accompagnement est fait d’entretiens individuels réguliers; ils mesurent les degrés d’apaisement émotionnel et d’estime de soi de la victime, contractualisent la validité du projet.

Ces rencontres sont des micros laboratoires de stratégies expérimentales effervescentes… Retrouver le chemin de la parole, susciter le désir tout en maintenant le principe de réalité, ouvrir la prospection des possibles sur le plan matériel, professionnel, social ou culturel tout en incitant à la prise de décisions... Autant de portes d’entrée qui invitent à la reconstruction personnelle et la reconnaissance sociale.

Groupe de parole ou atelier d’écriture, découverte du bricolage ou organisation de loisirs complètent l’accompagnement proposé.

L’idée fondatrice est qu’elle garde le cap dans tous les domaines et répondre à la question taraudante Pourquoi suis-je restée si longtemps ? Avoir des clés de compréhension en matière de communication, de liens, relation, de place dans la famille d’origine, de processus d’emprise, de construction de couple, de régulation de conflits... Abandonner le syndrome de la belle au bois dormant prend du temps et demande énergie et dynamisme !

6 mois, 1 an, 2 ans ou peut-être toute la vie...

ENFIN...

Sortir de la violence ne se fait en « deux coups cuillères à pot » ! Les préjugés à l’égard des femmes victimes ont la vie dure. A quoi servent ils ? Obscurcir une réalité dont nul n’est à l’abri ? Se convaincre que la violence dans de couple renvoie les partenaires dos à dos ? Ou qu’à bien y penser, ce n’est qu’une affaire intime et privée ?

Un peu à la manière de l’emboîtement des poupées russes, nous intégrons les violences conjugales dans la « stupéfiante » histoire des Violences faites aux Femmes. Alors que notre évolution s’inscrit dans une double dynamique : accompagner les victimes et développer des programmes de prévention « Ressources face aux violences et comportements sexistes » en direction de tout public, avec priorité en milieu scolaire :

Aider à l’instauration de comportement respectueux et attentifs entre les sexes tout en étant attentives au maintien des acquis féministes demeurent les références fondatrices, à l’ombre desquelles s’organisent, aujourd’hui, le travail entre les militantes-bénévoles et les professionnel-les de Solidarité femmes Belfort.

Et là, j’ai trouvé la volonté, la persévérance et la ténacité pour m’en sortir... Faites vous confiance ! On peut réellement sortir de la spirale... Acceptez de vous livrer, de croire en vous, et de vous laisser guider, des gens sont là pour vous. NATHALIE (25 ans hébergée depuis 1 an)

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Les enfants exposés aux violences conjugales

Article écrit par Matthieu Besset, éducateur spécialisé à Solidarité Femmes


LE CONTEXTE

Lorsqu’un couple est pris dans un processus de violences conjugales, il donne à voir et à vivre à ses enfants des relations paradoxales de part leur nature, leur intensité, leur fréquence alors que les parents sont  censés leur apprendre à être en amour et être en société.

Le souvenir traumatisant peut être source d’angoisse et de stress. Toutefois, les conséquences des violences conjugales sur le développement des enfants sont encore mal connues mais ces enfants peuvent développer un mode relationnel distordu intériorisé comme normal, un usage de la violence comme mode privilégié de la résolution des conflits ainsi qu’une représentation tronquée des rapports entre les hommes et les femmes.

Ce constat de la souffrance des enfants demande une prise en charge spécifique car d’un point de vue systémique, ils sont, au même titre que leur parent, membres d’une famille engluée dans la violence.

LES ENFANTS AU CŒUR DES VIOLENCES CONJUGALES

Au-delà de la possible intériorisation de la légitimité de la violence, s’ajoutent des sentiments complexes et contradictoires dans lesquels ils sont « empêtrés » :

- Empathie face à la douleur et à la souffrance de leur mère et Colère à l’égard de leur père à cause de sa brutalité

MAIS Mépris pour leur mère en raison de sa faiblesse de ne pas pouvoir mettre un terme à la relation et Tentation de s’associer au père qui leur semble avoir le pouvoir et le contrôle dans la famille.

- Perception des efforts de leur mère pour mettre fin à la violence pourtant rendue responsable de la séparation de la famille et de la souffrance de leur père « abandonné »

MAIS Prendre le parti du père parce qu’il doit quitter la famille, vivre seul et peut-être même aller en prison.

Ces sentiments paradoxaux s’enracinent dans un conflit de loyauté. D’une manière générale, les enfants sont loyaux à leur parent, surtout dans les familles où la violence existe et sont dans l’impossibilité de choisir, si ce n’est que la famille ne se sépare pas.

ENJEUX DE L’ACCOMPAGNEMENT

L’intériorisation de la violence comme mode de relation les affecte probablement dans leurs relations interpersonnelles. Nous constatons que selon les âges, la place dans la fratrie et le sexe de l’enfant, ils adopteront des attitudes différentes face à la violence. Souvent les ainé-e-s occupent une position protectrice et bienveillante dans la fratrie. D’autres interviennent et prennent parti pour leur mère - contre leur père -, ou inversement, même si le sentiment d’impuissance prédomine. Parfois ils font barrage à la violence par leur simple présence. Ils entendent, déclenchent, consciemment ou inconsciemment, la colère de leur père à leur égard pour désamorcer la tension conjugale. Cependant, beaucoup d’enfants restent paralysés par la violence, ne sachant quoi faire ou tout simplement tétanisés par ce qu’ils voient et ressentent.

D’une manière générale, ils sont pris à parti dans le conflit conjugal et développent des comportements complexes : Impuissance - Peur - Conflit Loyauté - Dilemme Affectif - Normalisation/Banalisation de la violence – Culpabilité.

POSTURE PROFESSIONNELLE

L’objectif principal d’un accompagnement auprès des enfants témoins de violences est de nouer une relation avec eux qui repose sur des préalables définis :

- Être à l’écoute : leur parole a de l’importance car ils ont leur propre perception de la conflictualité conjugale ; ici repose toute l’ingéniosité de l’intervenant afin de leur donner la possibilité de verbaliser ou exprimer par toute autre manière ce qu’ils ont vécu, vu, entendu, ressenti ou perçu.

- Affirmer la loi : la violence est interdite, même si elle émane des parents. Face à la violence, sera affirmée la loi comme référence incontournable de son interdiction dans les relations de couple, familiale ou en société.

- Être digne de confiance : avant « d’ouvrir les vannes », ils doivent être sûr de la fiabilité et de la solidité de l’adulte. L’appréhension d’être à nouveau déçu ou abandonné peut prendre le dessus sur la nécessité d’être entendu et soutenu.

- Être disponible : certaines étapes sont importantes et sources d’angoisse, particulièrement au regard des liens conjugo-parentaux : rupture, exercice du droit de visite du père, audience de divorce, enquête sociale… Rassurer, expliquer, déculpabiliser, être auprès d’eux, faciliter l’expression sont les enjeux de la relation d’accompagnement spécifique.

- Donner du sens : la complexité des violences conjugales les impacte de plein fouet : peur, loyauté, dilemme affectif… En manque de mots, il est important de les aider à parler dans une démarche interactive : tes parents ne se séparent pas parce qu’ils ne s’entendent plus ; tes parents se séparent parce que ton père a eu de comportements interdits et sanctionnés par la loi, il n’a pas le droit d’être violent. Si ta maman a quitté ton papa, c'est pour se protéger et pour te protéger.

- Faire vivre le père : même si la violence conjugale est une affaire de couple, la fonction parentale en est fortement affectée. Repositionner la violence conjugale au cœur de la conjugalité permet aux enfants de se distancier d’affects probablement culpabilisant tout en continuant de vivre leur relation avec chacun de leur parent.

- Leur redonner leur place d’enfant : ils sont soumis à de multiples pressions qui les amènent à des manifestations diversifiées sur les plans comportementaux et psychologiques (repli sur soi, prendre la place de son parent…), affects dépressifs, d’où l’importance de trouver avec eux des pistes de changement.

TRAVAILLER AUPRÈS DES MÈRES

Accompagner les mères dans leurs compétences maternelles apparaît comme l’une des clés du changement. Il ne s’agit pas de se substituer à elles ; notre intervention vient renforcer leurs ressources en matière de communication, de gestion des conflits et de sécurité affective.

S’il n’y avait qu’un élément à retenir dans ce parti pris professionnel, ce serait peut-être la manière dont elles vont désormais affirmer leur interdiction de la violence, poser leur autorité, réfléchir et expérimenter des réponses éducatives non-violentes, non-humiliantes et non-insultantes et permettre à leurs enfants de s'essayer à d’autres modèles plus sains et respectueux.

LA PLACE DES HOMMES : ENTRE CONJOINT VIOLENT ET PÈRE DES ENFANTS

Les enfants sont le lien qui unit l’auteur à la victime, le père à la mère, le conjoint à la conjointe. Il est possible de rencontrer le père dans un double objectif : désamorcer la tension liée à la rupture et d’éventuels passages à l’acte violent contre soi ou les autres et leur conseiller d’organiser un contexte sécurisé pour que la rencontre avec leurs enfants puissant avoir lieu.

Il apparaît important et essentiel de réfléchir sur une manière de les prendre en compte et en charge sur leur double fonction conjugale et parentale puisque si ces hommes font parti du problème, ils font aussi parti de la solution.

POUR CONCLURE

Réintroduire du droit là où la sphère familiale est vécue comme un lieu de toute puissance et d’impunité, restaurer une manière de communiquer et de résoudre des conflits dans la non-violence, développer des modèles d’identification adaptés à la vie en société, fortifier la fonction maternelle et interpeller la fonction paternelle, tels sont les enjeux de la prise en charge de ces enfants.

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Des femmes victimes… aux hommes violents

De Solidarité Femmes...

...à Parenthèses à la Violence



Article écrit par Anne Bonnaudet, Psychologue à Solidarité Femmes Belfort

Paru dans Non-Violence Actualité, mai 2009


Il a fallu de l’audace et de la pugnacité pour que Solidarité Femmes Belfort, au cœur du mouvement féministe et de ses turbulences, se préoccupe dès 1987 des auteurs de violences conjugales.

20 ans en arrière, il n’était pas de bon ton d’oser « penser » leur devenir ; les critiques étaient sévères, nous étions démunies, prises en étau entre un fort système de croyances féministes et une éthique professionnelle qui nous poussait sans cesse à écouter la parole des femmes violentées à prendre soin également de leur conjoint aussi violent soit-il !

J’aurais tellement souhaité qu’il vous rencontre dit Odile au Psychologue de Parenthèses à la Violence invité par un groupe de paroles de femmes victimes de violence ; je crois qu’il aurait pu parler, peut-être de sa souffrance de ses difficultés, il est emmuré dans son silence et dans son alcool, et je suis terrorisée lorsqu’il a notre petit garçon car je ne sais pas s’il prendra la voiture ou pas ; quelles certitudes, à quoi me raccrocher, quand je pense à ce que j’ai vécu avec lui ?

Des centaines de témoignages d’épouses ou de copines qui, au-delà de la souffrance, de la volonté sans cesse réitérée de l’arrêt des violences domestiques, de l’affirmation déterminée de changement, demandaient comment faire à l’égard de leur conjoint violent.

LA VIOLENCE EST LE FAIT DES HOMMES

Les violences s’enracinent dans des contextes culturels ou systèmes de croyances dans lesquelles les femmes en sont majoritairement victimes d’où la conviction qu’il appartient aux hommes de penser et traiter la violence de leurs pairs sur les plans politiques et professionnels.

Ainsi est née Parenthèses à la Violence en 1989, animée par une association d’hommes, issus de la mouvance alternative (mouvement pour une alternative non violente, Verts, objecteurs de conscience, travailleurs sociaux engagés) professionnalisée en 1994 par un psychologue masculin chargé de l’accueil des auteurs de violence.

LA VIOLENCE EST AUSSI UNE HISTOIRE DE COUPLE

Les deux partenaires sont emprisonnées dans une forteresse relationnelle aux frontières étanches animée par un mouvement pendulaire affolée par l’intensité et de la gravité des violences produites.

Responsabilité/déni, domination/soumission, altérité/empathie, différenciation/séparation, système de croyance et références culturelles, faire face à soi et à l’autre, introduire du tiers, agressivité/violence, contrainte/libre adhésion, loi/interdiction, restaurer du lien, sont les fils à démêler dans l’espace de soin proposé par les deux associations.

Nous expérimentons un modèle de traitement des violences conjugales qui se différencie de toute autre prise en charge (médiation, conseil conjugal, thérapie familiale).

Victime et auteur sont accueillies séparément dans le respect de la confidentialité, afin de construire une relation thérapeutique individuelle approfondie sur plusieurs mois. Quelques entretiens collectifs, à la demande du couple ou des thérapeutes, complètent cette prise en charge.

Généralement, les entretiens de « thérapie scindée » signent la reprise ou la continuité de la vie conjugale ; pour les couples séparés définitivement, ils en resteront aux rencontres individuelles.

DES QUESTIONS ET UN MODELE THEORIQUE COMMUN

Il est apparu indispensable aux professionnel-les de Solidarité Femmes et Parenthèses à la Violence d’adopter un modèle théorique commun pertinent pour ce type de problématique.

Les références et les applications systémiques ont été les entrées privilégiées en terme de compréhension des processus de violences conjugales, de dynamique relationnelle, et de réponses aux interrogations.

Pourquoi tant de difficultés pour une femme violentée à quitter son agresseur ?

Comment l’aider à se désengager d’une conjugalité mortifère et limiter la répétition en cas de nouvelles rencontres amoureuses sans la culpabiliser davantage ?

Que faire avec cet homme violent ? Qui réfute toute responsabilité dans l’engrenage, revendique avec force le droit à la fonction paternelle tissé au secret désir de rejouer l’impossible illusion amoureuse avec sa partenaire !

Comment restaurer la fonction parentale à l’égard d’enfants témoins ou acteurs d’une histoire qui n’est pas la leur ?

LES VICTIMES DE LA VIOLENCE FACE A LEUR AGRESSEUR

Quand les victimes « exportent » la violence subie, c’est qu’elles commencent à sortir du processus d’exclusion, de honte, de culpabilité dans lequel elles étaient recroquevillées ; elles commencent à perdre l’espoir de changer leur conjoint.

Cette perte d’espoir sera progressive :

Je ne le changerai pas : elle est encore dans la fusion/confusion avec l’autre et se pense responsable et coupable de la violence.

Lisa, 38 ans, deux enfants, 8 et 12 ans, 18 ans de mariage, 15 ans de violences verbales et physiques.

Elle veut le quitter :

Quand je lui ai dit que j’avais visité un appartement, il s’est foutu de moi en me disant « t’as qu’une grande gueule, mais prends le qu’est-ce que tu attends… » J’ai eu envie de pleurer mais je n’ai rien fait.

Ca ne changera pas : elle prend de la distance, le « ça » renvoie à une forme de fatalité qui limite la responsabilité de l’agresseur en lui trouvant des circonstances atténuantes (il a eu une enfance malheureuse, il a perdu son emploi…)

5 mois plus tard… Quand je lui ai dit que j’avais visité un autre appartement et que j’avais dit oui, il a fait une crise d’angoisse menacé de se suicider…, j’ai appelé les pompiers, j’ai dit non au propriétaire et je suis restée.

Il ne changera pas : elle se dégage progressivement de la culpabilité et identifie le conjoint comme responsable des actes posés.

2 mois plus tard : Quand je lui ai dit que j’avais visité un appartement, que je le trouvais à mon goût, et que j’avais les clés, il a tout cassé sur la terrasse et m’a dit casse toi sale merde… et là je suis vraiment partie !

L'AUTEUR DE VIOLENCE SE TROMPE DE COLERE

Lorsqu’il se présente à la permanence de Solidarité femmes, il peut être crispé, nerveux, revendicatif, déprimé ou désespéré mais il compte sur nous pour que nous l’aidions à récupérer « son bien ».

Il est accueilli avec attention pour un entretien unique dans la perspective de l’informer de toutes les ressources externes à utiliser pour faire face à ses difficultés, interrogations.

Vous devez écouter ma version des faits, pour vous faire vraiment une idée... Ou bien encore Vous vous trompez Madame, je ne sais pas ce qu’elle a dit, mais pour vous faire vraiment une idée vous devez écouter ma version...

Cette tentative d’explication est immédiatement verrouillée par l’interdiction de violenter sa conjointe. Avoir une écoute trop bienveillante ouvre la voie à la réactivation quasi instantanée de tactiques manipulatoires inhérentes à tout processus conjugal violent, et noie l’intervenante dans un abîme de perplexité et de sentiments contradictoires qui, un peu à la manière des victimes peut progressivement la paralyser sur les plans psychique et cognitif !

Nous sommes très vigilantes à ne pas être investies de fonctions que nous n’avons pas.

Pour la plupart des auteurs , dans les tous premiers jours de la séparation, il leur est très difficile de « dérouler la pelote » plus ou moins accentué par la prégnance des systèmes de croyance et des références culturelles ; ils ne comprennent pas ce qui se passent, ils réfutent une réalité douloureuse dont ils n’ont pas toujours conscience, ils marchandent le degré et la tonalité de la violence, ils revendiquent vigoureusement leurs droits Je suis le père, elle n’a pas le droit d’enlever mes enfants, allez les chercher je veux les voir… Elle, je m’en fous et ne sont forcément en demande d’aide extérieure.

Ils sont vivement encouragés à prendre contact avec Parenthèses à la Violence, dont le nom ne laisse aucun doute sur la nature de ses activités ; de telle sorte que même s’ils sont encore dans le déni de leurs comportements, ils ont l’information d’un accueil organisé pour eux où ils ont le choix d’y aller ou non.

L’entretien se termine, généralement dans l’interrogation, la surprise ou la stupéfaction … peut-être les prémisses d’une réflexion naissante ?

Peu d’auteurs de violence s’engagent dans une démarche volontaire, pas plus d’une dizaine par an ; les obligations de soins prononcées par les magistrats après dépôt de plainte des victimes constituent la majorité de la clientèle de Parenthèses à la Violence qui constate qu’il est souvent plus facile de travailler avec la contrainte que la libre adhésion, d’où l’importance de la sanction judiciaire dans les violences conjugales.

ET MAINTENANT

Les couples continuent la route ensemble lorsqu’ils ont vécu une relation conjugale conflictuelle, ponctuée de violences isolées. Ils sont ouverts à la compréhension et respectent les limites et l’intimité de chacun ; ils investissent de l’énergie à faire de leur couple une enveloppe contenante et chaleureuse. Ils s’aiment et ont envie de faire des projets ; l’un et l’autre ont des ressources extérieures à mobiliser en cas de besoin.

Les couples se séparent définitivement lorsqu’ils ont un passé de violences conjugales chroniques de plusieurs années. Pour l’auteur, il s’agit de faire face au déni d’endosser la responsabilité des violences agies, faire l’expérience du « mieux se connaître » en terme de développement et projets personnels afin d’adoucir la perte d’une relation qui n’est plus.

Pour la victime, il s’agit plutôt de comprendre la nature de son engagement dans le maintien de la relation car elle est dans l’impossibilité émotionnelle et intellectuelle de renouer un lien amoureux avec son ex conjoint. Elle est en état de convalescence et de vigilance et craint la réactivation d’une emprise l’exposant à nouveau au risque de la violence.

Pour les deux, la séparation conjugale apparaît comme une solution acceptable avec en toile de fond la possible reconstruction d’une fonction parentale dynamique et l’espérance de nouvelles rencontres amoureuses agréables.

Nos deux associations poursuivent cette expérience de prise en charge de la violence conjugale avec ses limites et ses zones d’ombre.

Au-delà de la réflexion clinique, la collaboration s’exprime aussi à travers la préparation d’actions militantes, de formation de sensibilisation ou de programmes de prévention contre la maltraitance intra-familiale.

Participer au mouvement de transformation des relations Hommes/Femmes, en aidant à l’instauration de comportements respectueux et non violents entre les sexes est les références à l’ombre desquelles s’organise aujourd’hui la réflexion militante et professionnelle entre Parenthèses à la Violence et Solidarité Femmes.









 

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Familles recomposées : on s'hait-me

Dynamique relationnelle et régulation des conflits dans les familles recomposées - Colloque en 2009

Depuis plus de 10 ans, Solidarité Femmes et Parenthèses à la Violence reçoivent des femmes, des hommes et des enfants qui, au-delà des tensions des conflits de la violence, sont confrontés au défi de la recomposition familiale. Complémentaires dans l’accompagnement des problématiques de violences intrafamiliales, nos 2 associations inscrivent également leur démarche professionnelle dans la compréhension structurelle et fonctionnelle des systèmes familiaux pour mieux en saisir leurs difficultés.

La décennie précédente a vu les recompositions familiales croître de manière très importante avec un succès non démenti jusqu’à présent.A peine sorties de l’ombre, elles ont été reçues et médiatisées comme le symbole d’une véritable transformation de la bonne vieille famille traditionnelle. Plus souples, créatives, moins contraignantes bref plus modernes !

 


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